mardi 22 décembre 2015

L'art des défauts du Tri-X

papiers Kodak au début des années 70, photo Martin Benoit
Un texte intéressant a été publié sur le film argentique de Kodak, le Tri-X. Le document passe en revue la saga du film et sa perception à travers les époques et tendances.

J'avais le réflexe, ces dernières années, d'être un peu contre cet engouement pour le Tri-X, ayant été le premier content quand il a été surpassé par le HP-5 plus et plus tard par le Delta 400 de Ilford.

Je ne comprenais pas vraiment l'intérêt de s'acharner sur les défauts de ce "vieux" film. La seule raison valable me semblait être la possibilité d'exploiter cette épaisse émulsion, qui répond très bien aux variations d'agitations lors du développement. Le HP4 de Ilford et le Neopan 400 de Fuji répondaient de façon similaire. Le Tri-X n'était pas le seul de cette école.

Si vous voulez éviter que les hautes lumières soient trop denses  et difficilement imprimables ou numérisables et que vous ne voulez pas investir dans un révélateur compensateur (Acufine, Neofin rouge, Rodinal) vous n'avez qu'à allonger le temps de développement en diminuant l'agitation et le révélateur s'épuisera dans les hautes lumières et continuera à opérer dans les basses lumières. Vous modifiez ainsi la courbe de reproduction favorisant les ombres au détriment des hautes lumières. Cette stratégie est particulièrement intéressante lors de prises de vues de sujets très contrastés comme un spectacle par exemple. On ne parle pas ici de faire du N- (surexposer et sous-développer).

L'émulsion très épaisses du Tri-X convient bien à ce genre de recette par opposition au TMax-400 qui est très nerveux dans les hautes lumières et possède une émulsion mince, conséquences du nouveau grain tabulaire qui la compose.

Ce que je n'avais pas compris c'est que ce sont les multiples défauts du Tri-X qui étaient recherchés. Sa faible gradation, le peu de niveau de gris qu'il décline, la grossièreté de son grain.
C'est une forme de raccourci pour recréer le look grunge des photos des années 70.
Ayant accès à de la résolution, de la gradation, etc avec le numérique, un intérêt de faire de la prise de vue argentique est justement de "colorer" ses images d'une signature différente. Tout peut être simulé avec Photoshop, grain, gradation, etc. Dans le cas du TRi-X c'est une solution clé en main.

L'intérêt pour les objectifs Petzval, les objectifs Vintage 74 de la compagnie Vantage, les LensBaby, le film Polaroid, etc. résulte d'une préoccupation similaire. Travailler à l'aide d'un médium limité et exploiter ces limites comme langage et stylistique.

J'avais une théorie sur l'évolution du langage photographique des années 90, lorsque nous avons vécu un retour vers des images très suggestives plutôt que démonstratives. Le succès des transferts Polaroid, du C-41 dans le E-6 (cross process) et autres artifices pour abimer les rendus étaient, selon moi, une façon de rendre hommage à une période de l'histoire photographique où la société semblait moins décevante. Les années 80 furent des années sombres en introduisant la qualité (musique CD, retour du format 4x5 au détriment du populaire film 126, etc.) mais simultanément la découverte de la dévastation écologique, de la montée du SIDA et autres désastres sociaux. La technologie était au rendez-vous, mais l'humanisme était absent. On trouva donc refuge dans une imagerie réconfortante ne faisant pas référence à cette époque contemporaine qui constituait un échec lamentable. Le retour en arrière, en terme stylistique, était une forme de détour du regard du fait contemporain.

Peut-être que l'attrait pour la stylistique des années 70 en est un similaire. Les grands changements sociaux peuvent être associés à ces années. Les droits civiques, le mouvement hippie, le rock progressif, etc. Pour mes enfants (qui ont 30 ans aujourd'hui) cette période semble en être une grande qu'ils ont manquée.

Dans les années 70, je croyais aussi avoir manqué une grande période photographique qu'étaient les années 50. La gloire du transfert hydrotypique (Dye Transfer), le format 5x7 et la photographie de presse au 4x5, les émulsions très très épaisses comme l'Ektapan le Super-X. Je consultais le catalogue de papiers Kodak et moins de la moitié des papiers étaient disponibles. Aujourd'hui, il ne reste que 2 ou 3 surfaces (F glacé, le N semi-mat et le E perlé). Il y avait plus de 20 surfaces/émulsions à l'époque. Toutes plus fascinantes les unes que les autres.

Chaque époque à eu ses succès et ses échecs. Nous vivons des grands moments photographiques aujourd'hui, qui prendront toute leur dimension dans quelques décades.

mardi 8 décembre 2015

Les appareils numériques sont souvent peu excitants

OM-2 et l'auteur, autoportrait
Un récent conférencier nous parlait de photos artistiques réalisées à l'aide d'appareils argentiques. Il a justifié son usage de ce médium, expliquant que seuls certains appareils l'excitaient et que pour s'exprimer il avait besoin d'un outil qu'il l'excitait. J'aime cette justification que j'avais rarement entendue.

Peut-être que ça explique pourquoi Nikon a créé le Df, Olympus le OMD et Fuji la série X.

Dans les faits, peu de ces nouveaux vieux appareils ont eu du succès spécifiquement causé par leur apparence. Ceux qui en ont eu, c'est plutôt dû à leurs performances diverses.

Dans mon cas, il y a deux appareils qui m'ont particulièrement touché. Le Minolta 7s et l'Olympus OM-2. Oui, j'ai admiré les Leica, Hasselblad, Sinar et les très haut de gamme, mais j'ai finalement travaillé avec ces appareils et ils ont été appréciés chacun pour leurs fonctionnalités dans des contextes d'utilisation qui leur étaient destinés. Un rêve serait de posséder un Nikon SP (Bob Dyland Highway 61 Revisited), mais je vais laisser ça au niveau du rêve. Je trouve que le SP, au niveau historique, est un appareil très important. Il a permis à Nikon de se faire un nom en imitant les qualités mais pas les défauts des Contax de Zeiss.

À l'adolescence, le Minolta 7s me semblait l'appareil qui me permettait d'entrer dans l'univers des grands sans m'écorcher financièrement. Mon guru photographe avait un tel appareil. Avec une bonne pellicule, je croyais que l'appareil pouvait produire les mêmes images en posant les mêmes gestes que Cartier-Bresson avec ses Leica. Ce n'est que cette semaine, que j'ai vraiment possédé, pour la première fois, cet appareil. Merci à un généreux donateur qui connaissait mes "phantasmes".

L'Olympus OM-2, c'est pour le plaisir du geste. Muni d'une bonne optique Zuiko, cet appareil offre probablement le plus grand champ de viseur jamais créé. Quand on regarde dans ce viseur, c'est comme être à IMAX où la composition occupe presque tout l'espace. C'est d'ailleurs un problème si vous portez des lunettes. L'appareil est très petit, léger et silencieux. L'idée, avec l'Olympus OM-2, est d'exposer automatiquement en priorité ouverture et, via un très gros bouton bien disposé, de compenser l'exposition selon le placement* que l'on désire de la zone mesurée. Ansel Adams se réveille de joie dans sa tombe. Rapidité et grand contrôle. Certains appareils numériques commencent à utiliser cette approche où la compensation d'exposition est la variable la plus importante une fois que l'appareil a fait ses propres réglages automatiquement.

J'ai commencé un lent retour à l'argentique depuis un an et j'essaie d'utiliser les bons plis que le numérique m'ont imposés dans le but d'obtenir le plaisir et le rendu du médium argentique qui m'a pris tant d'années à dompter.

J'espère que ça transpirera dans ces nouvelles images.

*placement en terme de zones selon le système des zones de Adams/Archer