vendredi 28 avril 2017

Photographier Expo 67 à treize ans en Kodachrome™

M. La Roche (à droite) expliquant ses diapositives et Spotmatic/28/Lunasix3. photo Martin Benoit
Roger La Roche avait treize ans quand il s'est mis à photographier Expo 67 en diapositives Kodachrome™ à l'aide de son Asahi Pentax Spotmatic équipé d'une 28mm et d'une 135mm.

Durant cet été mémorable, il a fait plus de 1200 photos et dépensé la moitié de son salaire de cuistot au petit kiosque de tourtières devant le dôme géodésique du pavillon américain.

Exposer du Kodachrome™ 25 à 13 ans, ça reste du sport. Le film est très contrasté et ne permet pas d'erreur d'exposition et de température des couleurs. Assez tôt, il s'est équipé d'un posemètre Lunasix 3 afin de mieux contrôler la lumière tombante des fins de journées. Son quart de travail finissait en milieu d'après-midi et la lumière commençait à tomber ce qui lui permettait d'avoir des ciels d'une belle luminosité et saturation.

Comme il me le mentionnait, Expo 67 se photographie plutôt au grand-angulaire qu'au télé. Le télé pour les expressions humaines, le grand-angle pour l'objet qu'était Expo si j'en juge par ses choix.

Des photos, il s'en est pris des milliers et possiblement des millions à Expo 67. Le problème est qu'en cette période sombre de la photographie couleur, le film diapositive dominant était l'Extachrome™ (qui est de retour) et il utilisait le procédé E-3. Ce film était mal stabilisé chimiquement et la couche du cyan disparaissait en une décade ou deux même si vous aviez pris soin de les conserver dans les meilleures conditions. D'ailleurs, le Musée Stewart de l'île Sainte-Hélène présente une collection d'artéfact d'Expo67, dont des bandes de diapositives souvenir d'époque encore emballées dans leur présentoir qui sont rendues monochromatiques rouges...

L'autorité de la conservation muséale photographiques Wilhem Imaging Research raconte qu'un pan de l'histoire du 20e siècle à rougit et pâlit entre 1965-1975 car la vaste majorité des diapositives se sont auto détériorées sous le procédé E-3. Il a fallu attendre le E-6 pour une bonne stabilité des colorants.

Le Kodachrome™ datant des années trente utilisait un procédé exclusif à Kodak qui ajoutait les colorants au moment du développement. Le film n'était constitué que de trois émulsions noir et blanc. Contrairement à l'Extachrome et les autres films couleurs négatifs ou positifs  de l'époque et d'aujourd'hui, qui sont eux constitués de trois émulsions noir et blanc et de trois couches de colorants cyan, magenta et jaune qui elles sont dormantes dans l'émulsion. C'est lors du développement que des "copluants chromogènes" réveilleront les colorants déjà en place et leur fera adopter leur coloration finale. Cette stratégie s'est avérée plus simple en terme de pouvoir distribuer une "chaîne" de développement qui permet à n'importe quel labo professionnel de développer ces diapositives ou négatifs. La développeuse Kodachrome™ est une machine qui, en plus de développer les trois émulsions noir et blanc, les réexpose (voile) successivement avec trois sources lumineuses spécifiques et ajoute les colorants cyan, magenta et jaune successivement lors du développement. On se retrouve avec une émulsion légèrement en relief, très stable pour la conservation, mais peu résistante à l'exposition à la lumière. Les Extachrome™, eux,  enduraient mieux de rester dans des projecteurs allumés que les Kodachrome™, mais les Kodachrome™ traversent mieux le temps lorsque conservés à l'obscurité. Fin de l'aparté technologique.

Comme le mentionne M. La Roche, Expo était son laboratoire de découvertes et d'explorations photographiques. Vous commencez à faire de la photo et vous avez devant vous cette planète extra-terrestre grouillante d'activités humaines exotiques en tout temps. C'est un sujet riche et infini pour un débutant et même pour un professionnel. J'ai aussi photographié Expo à partir de sa version Terre des hommes les années qui suivirent. À l'époque je ne faisais que du noir et blanc négatif qui autorisait beaucoup d'erreurs. Mes images sont distantes, répétitives manquant d'humanité et sans propos.  M. La Roche avait pour son âge une sensibilité à regarder autour de lui et remarquer autre chose que les formes géométriques ou extraordinaires des pavillons.

dimanche 16 avril 2017

La démocratisation de la résolution

Publicité d'époque d'un Calumet
L'accès à la haute résolution tarde à se démocratiser. Contrairement à l'époque argentique, l'accès à de la haute définition à un fort prix depuis les années 2000.

À l'époque de l'argentique, tous savaient que si ils achetaient une pellicule au grain fin et que s’ils utilisaient une ouverture de diaphragme optimale (souvent f8), ils auraient accès à plus de détail à faible coût. De plus, les pellicules à plus haute définition n'étaient pas les plus dispendieuses. C'étaient souvent les très hauts ISO qui dominaient les coûts élevés des pellicules.

Quand nous étions étudiants, nous avions tous constaté que même le plus mauvais appareil 4x5 (les Calumet) équipé de très mauvais objectifs (Ilex 135mm) produirait un négatif gorgé de détails inatteignables avec la meilleure pellicule et le meilleur objectif pour appareil 35mm.

Un Calumet monté d'une Ilex ou une Schneider Xenar valait environ 160$ au milieu des années 70 (prix payé par le cégep du Vieux Montréal en 1972) quand un Leica M4 monté d'une Summilux 50 mm valait autour de 625$ (selon le catalogue Zodiac photo de 1970). Une simple feuille 4x5 de Plus-X (125 ISO) développée dans du D-76 livrait plus de détail que le meilleur Panatomic-X (32 ISO) développé dans du Rodinal (un excellent révélateur à grain très fin).

Aujourd'hui, pour faire un gain de résolution, il faut sortir les gros dollars. Doubler la résolution d'une Canon 5D mkII (21 MP) nécessite  d'aller vers un appareil de 84 MP. Façon élégante de dire qu'il faut aller vers les dos numériques moyen format des plus haut de gamme. On parle d'un dos de 80 MP sans boîtier et sans objectif d'environ 48k$ avant taxes.

Est-ce si important la résolution? Vivons-nous bien et pouvons-nous offrir les services qui nous sont demandés avec un appareil de 20-40mp pour moins de 4k$? Probablement que oui, pour la grande majorité des affectations qui nous sont proposées. Il y a quelques fois des affectations qui requièrent de plus hautes résolutions ou des marchés qui sont susceptibles d'exiger davantage (la mode, la photo industrielle). Dans ces cas, il est toujours possible de ne pas investir et louer l'animal à haute résolution, mais si votre marché est redondant, la location n'en vaut peut-être pas la chandelle.

Existe-t-il des solutions bon marché pour obtenir de la très haute résolution, comme le Calumet était une solution bon marché? Il faut se souvenir qu'il y avait des appareils et des optiques beaucoup plus chers, mais pas dans les proportions d'aujourd'hui avec l'absence de pérennité que l'on connait aux appareils. De plus, un bris n'a pas les mêmes conséquences financières sur un dos numérique Phase One que sur un Sinar P.

Dans plusieurs cas, l'option de coudre (stitcher) différentes prises de vues peut constituer une solution qui, à peu de frais, permettra d'additionner la résolution d'un appareil à moindre résolution pour obtenir une résolution finale acceptable. La contre partie sont les limites imposées par cette approche concernant les sujets en mouvements. Les logiciels d'assemblage de fichiers s'étant beaucoup améliorés, c'est souvent une option acceptable même avec des sujets dits mobiles comme des humains. Une photo d'un large groupe peut souvent être reconstruite en postproduction au besoin. Par contre, on ne peut imaginer une session de 300 prises de vues de mode faite en exposition multiple.

On est capable de fabriquer des pixels de très petites tailles qui produisent des images acceptables. On n'a qu'à penser à la gamme d'appareils intermédiaires de 24mp sur capteurs de taille APS-C. Les pixels ont environ un espace de 4,2 microns de large qui leur est réservé. Déployer de tels pixels sur une plus grande surface du genre 6cm X 4,5cm et vous obtenez un dos de 153 MP. Vous achetez un vieux Hasselblad, Mamiya, Bronica, Contax, etc. au marché aux puces et vous voilà propulsé dans la haute résolution.

On ne verra jamais ce jour ou pas de si tôt à des prix réalistes pour les photographes. De même, ceux qui attendent les capteurs 4po x 5 po attendent encore et attendront longtemps. On verra plutôt la taille des pixels diminuer et s'accumuler sur de plus petits capteurs afin d'augmenter la résolution totale au prix de la gradation et du bruit, mais les progrès de la chimie et des algorithmes compenseront ses failles de sorte à produire des fichiers acceptables et la course aux méga pixels s'estompera. Il arrive un point où avoir plus de pixels n'est pas nécessairement une panacée à tous les maux.

Rien n'indique que les coûts associés à produire une grande surface de capteur baisseront. Le besoin n'est pas vraiment là et les problèmes sont multiples du point de vue industriel.

Comme à l'époque de l'argentique, le photographe devait décider quel type d'appareil à quels coûts et concessions il devait utiliser. Refuser à l'occasion une affectation ou se retourner vers la location est toujours une solution. La différence avec les temps modernes du numérique est que les implications financières sont proportionnellement plus élevées. C'est pourquoi qu'avant de s'attaquer à des marchés qui requiert de la haute résolution, une projection financière du potentiel du marché est importante afin de ne pas hypothéquer son existence future, comme plusieurs ont fait dans les années 2000 et sont restés amers.

Les jours s'annoncent moins sombres avec les progrès technologiques et la baisse des coûts. Le défi reste plus à maintenir un marché et des prix raisonnables compte tenu de la nouvelle compétition. Le professionnalisme et la qualité des relations clients seront, selon moi, la clé du succès dans un proche futur. Certains marchés devront être abandonnés et laissés aux utilisateurs improvisés ou fruits de la démocratisation.