mercredi 25 juin 2014

Photoshop cré sa propre légende et le succès de la facilité

Avec l'apparition récente de Jennifer in Paradise, une légende est en train de se créer autour de Photoshop. Selon plusieurs articles, Photoshop est présenté comme la première solution abordable sur Mac pour retoucher des images.

Qu'en est-il des Digital Darkroom de Silicon Beach Software, Color Studio de Letraset, Image Studio, MacPaint et...? Pour ceux qui pitonnaient des ordis domestiques au début des années 90, la norme dans les centres de préimpressions et chez les graphistes, qui utilisaient des ordinateurs domestiques, était Color Studio de Letraset, qui est devenu aujourd'hui Corel Painter X3 pour pas cher. Color studio était une espèce de Photoshop/Illustrator aux hormones. Ce logiciel valait ~1100$ quand Photoshop en valait ~750$. Color Studio était précurseur, il pouvait travailler en cmjn et gérer tous les paramètres d'impression au niveau de la forme du point et beaucoup, beaucoup plus.
Ma copie de Photoshop v1.0 sur mon vieux laptop PowerPC. Elle roule encore, l’écran du laptop moins certain...

La réalité, c'est que des années durant, Adobe a laissé Photoshop se faire pirater avec grande simplicité de sorte qu'il puisse inonder le secteur et ils ont tranquillement acheté tous leurs compétiteurs grâce aux profits de leur vente de licence Postcript pour imprimantes. Si je me souviens bien de leurs rapports annuels de l'époque, ils tiraient ~50% de leur revenu de la vente de ces licences. Toutes imprimantes utilisant la technologie Postscript devaient payer une royauté à Adobe. Ils ont ensuite acheté Aldus et Macromedia pour n'en nommer que quelques gros. Leur compétition s'est étiolée et ils sont devenus le roi de la montagne. Une fois bien installés, ils ont rendu le piratage un peu plus complexe, pour aujourd'hui se retrouver avec Creative Cloud.

Au début de l'ère Photoshop, j'ai vite été un Photoshopevangelist et j'ai répandu la bonne nouvelle, même après avoir été formé au Creative Center for Imaging de Camden sur Color Studio. J'ai ensuite été engagé par l'université de Sherbrooke pour convertir les profs de graphisme du cégep Ahuntsic au nouveau logiciel d'Adobe (Photoshop). Eux, qui étaient des anciens utilisateurs de Color Studio, n'étaient pas particulièrement impressionnés. Ils se sont quand même convertis et peu se souviennent de leur vie antérieure à Photoshop aujourd'hui.

Qu'elle est la force de Photoshop? Photoshop avait une courbe d'apprentissage accessible même si cela nuisait aux performances du logiciel. Le premier venu pouvait altérer une image sans trop consulter le manuel. Ce n'était pas du tout le cas de Live Picture, un logiciel incroyable du milieu des années 90, qui était principalement un éditeur de métadonnées hyper rapide et qui pouvait travailler sur n'importe quelle taille de fichier, abstraction de la puissance de votre ordi. Live Picture coutait ~5000$ initialement et était protégé contre le piratage. Live Picture a été abandonné finalement à cause de sa complexité initiale d'utilisation. Peu on franchit le seuil critique de compétences qui permettait d'être à l'aise avec le logiciel. Photoshop a été gentil avec ses utilisateurs et les progrès technologiques ont compensé pour ses faiblesses. La vitesse des CPU a augmenté et le prix du ram a baissé permettant finalement de rendre le logiciel utilisable rendant ainsi caduque les autres logiciels plus performants qui sont disparus progressivement n'ayant pas la base d'utilisateurs nécessaire à leur survie.

Lightroom est un éditeur de métadonnée, il altère les pixels originaux uniquement quand on exporte le fichier, entre temps il ne change que l'affichage de l'image et il est facile d'utilisation. Adobe continue dans sa stratégie de facilité d'utilisation. Ils vont faire disparaitre PhaseOne MediaPro, Extensis Portfolio et Apple Aperture, des logiciels de catalogues antérieurs, qui ont des qualités réelles. C'est la force du gros et des stratégies de marketing agressives. Lightroom a été gratuit très longtemps et pas cher ensuite, ça encourage plusieurs à faire le saut. J'ai fait le saut dès le début, mais j'utilise toujours MediaPro. Pour combien de temps?

Tout ça démontre un peu ce que Steve Jobs voulait démontrer. Une expérience agréable est plus importante que la performance brute. Finalement, c'est son interface graphique empruntée à Xerox qui a survécu. Tout le monde, que ce soit sous Windows ou OSX, utilise aujourd'hui une interface graphique au lieu d'un prompt pour entrer une ligne de commande. L'utilisateur moyen veut être opérationnel et pas être nécessairement un geek

La simplicité a souvent meilleur goût.

mardi 17 juin 2014

10 600 poses de Tri-X développées avec planches contact ou un boîtier Leica Monochrome™?

Que préférez-vous, car c'est à peu près ce que vous pouvez vous acheter pour le prix d'un boîtier Leica Monochrome™?

Cette comparaison entre le Leica M4 et le Monochrome™ fait réfléchir. Des éléments pertinents ont été soulevés concernant l'écrêtage soudain dans les hautes lumières et la gradation. La pérennité de certains appareils et la désuétude intrinsèque de l'autre. L'investissement global des deux solutions.

J'aimerais poursuivre la discussion dans une autre direction. Demandez à un photographe professionnel quel est le pourcentage de ses revenus qu'il investit en appareils photo et je parle ici uniquement en boîtiers et pas en objectifs. Quel ratio de ses revenus est en promotion, pré-prod, etc.?
Faire de la photo professionnelle, que ce soit de la publicité ou du reportage d'auteur est principalement constitué de démarches et de prises de vues. Un reportage d'auteur durera souvent plusieurs semaines, frais de voyages, rencontres, etc. Que l'on soit en pellicule ou en numérique, ce sont les mêmes frais.

Quel était le but de Leica en créant le Monochrome™? Un appareil superlatif noir et blanc numérique? Quel est le but des acheteurs en achetant un Monochrome™? Qu'espèrent-ils et pourquoi dépensent-ils une telle somme? Ne savent-ils pas additionner des chiffres et constater qu'un appareil argentique serait meilleur marché? J'aimerais bien avoir ou essayer un Monochrome™ en passant. J'ai entendu des choses extraordinaires à propos de cet appareil. Absence de démosaïquage qui augmente la netteté. Absence de filtres de séparation qui augmente la sensibilité. Absence de filtre antimoiré qui augmente la netteté. Une excellente latitude et sensibilité. Le rêve de tous « leicaiste » théoriquement.

autoportrait
Si l'on pousse un peu plus loin la discussion financière de l'auteur, le meilleur ratio prix/performance serait probablement un Pentax K1000 avec un objectif Takumar 55mm f1,8 utilisé à f8. Les performances optiques de la Takumar à f8 ne sont pas si loin de la Summicron et de toute façon leur pouvoir résolvant sont supérieur à celui du Tri-X. Personnellement, j'opterais pour une Olympus OM2 avec une Zuiko 50 f1,4 à f8 chargée d'Ilford HP5 Plus développé dans de l'Acufine. Effet compensateur dans les hautes lumières et bon détail dans les ombres tout en maintenant une « acuité » du grain. Chacun ses goûts.

J'ai calculé qu'au prix que le Leica Monochrome™ se vend au Canada (8900 $+tx) moins le prix d'un boîtier Leica M3 ou M4 usagé, on peut acheter et faire développer/imprimer une planche contact pour l'équivalent de ~10 600 cadres de Tri-X. C'est quand même quelques photos. Le prix d'un rouleau de 36 poses développé et une planche contact revient à 32 $ tx inc.

Je trouve très intéressante et pertinente, dans l'article de Leicaphillia, la dénonciation de la très courte vie intrinsèque des appareils numériques. La possibilité de remplacer un circuit dédié d'un Leica Monochrome™ dans 20 ans, j'ai mes doutes, si Leica existe toujours. Il ne faut pas oublier que la compagnie Leitz (Leica) a été proche de la faillite à plusieurs reprises et qu'ils ont été sujets à beaucoup de remaniements administratifs dans les années 70. Leur avenir n'est pas garanti. Ce n'est pas un géant comme Canon qui fabrique photocopieurs et autres bidules électroniques grand public. Par contre, c'est une compagnie beaucoup plus vieille qui a traversé vents et tempêtes.

Un Leica Monochrome™ n'est pas un appareil pour faire de la pub même si on pourrait l'utiliser à cette fin. Faire du reportage, car c'est de reportages dont on parle ici, sous-entends avoir à composer avec toutes sortes de situations et aujourd'hui, peut-on exclure le marché potentiel de la couleur lors d'un reportage?....

J'aurais tendance à dire que le fond de la question est relié au style du photographe. Si vous êtes du genre à prendre des centaines, voir des milliers de photos pour rendre compte d'un sujet, la différence entre le numérique et la pellicule devient significative et même le prix d'un Leica Monochrome peut devenir économique. Il faut quand même développer cette pellicule et au moins la numériser pour la regarder. Ce n'est pas vrai que l'on peut juger de la qualité d'une image en négatif. Sa mise au point oui, mais son impact... On me dira, pourquoi prendre tant d'images? En pellicule il y avait des photographes qui étaient des gros consommateurs de pellicules. Pensons à Lee Friedlander par exemple qui, selon la légende, pouvait avoir des centaines de rouleaux non développés des mois après une exploration visuelle. C'est une démarche, comme le grand format est une démarche, comme le noir et blanc est une démarche, comme le studio est une démarche.

Si vous m'envoyez à l'étranger et que vous me donnez un mois pour parler des pêcheurs d'Ísafjörður en Icelande, que le résultat final peut être en noir et blanc si je veux, films ou numérique? Dans mon cas, la question ne se pose pas. La supériorité des ISO en numérique et la capacité à valider ses erreurs, car même les pros font des erreurs, supplante les avantages de la pellicule. Si je veux être furtif à la Leica, j'utiliserai un Fuji X-E2 avec l'excellente 35 mm f1,4 et peut être un convertisseur Leica pour une 50 Summicron pour les portraits et une 18mm comme grand-angulaire. J'exposerais en Raw + jpg avec un « picture style » noir et blanc filtre jaune afin de prévisualiser le look noir et blanc que je vise.

Mes conclusions sont que ça dépend de la démarche et du style photographique. Quelqu'un comme moi qui a besoin de prendre beaucoup de clichés pour découvrir ce qu'il cherche ou pour découvrir après coup ce qu'il se passait, requiert la souplesse et le faible coût du numérique. Quelqu'un de beaucoup plus prémédité et « constructeur d'image » pourra peut-être produire la même qualité d'image et sous certains aspects peut-être même des meilleures en argentique à coûts moindres. Restera que pour diffuser son produit final, il lui faudra bien numériser le résultat que ce soit un tirage ou un transparent.

Des fois dans mes rêves les plus fous, j'aimerais que la technologie soit figée et que le progrès cesse. J'ai l'impression que les caméras sont assez bonnes et j'aimerais qu'elles durent et que l'on arrête d'avoir des préoccupations technologiques et que l'on parle plus de photos. Que l'on se soit pas inquiet de la pérennité de notre matériel. Il n'y a pas si longtemps, photographier avec un Pentax Spotmatic™ avec une Takumar™ se comparait très bien avec photographier avec un Nikon™ F équipé d'une Nikkor™ 50 f1,4. En fait, personne ne pouvait voir la différence sur le tirage final si ce n'est que la forme du bokeh en arrière-plan et encore.

Je finirai par dire ce que je dis à tous mes étudiants: une photo moche en argentique, c'est aussi moche qu'une photo moche en numérique. J'espère qu'ils comprennent qu'une photo doit premièrement être bonne avant d'être un médium en soi à moins que l'on fasse de la photographie uniquement pour les photographes.

vendredi 13 juin 2014

Ce que j'ai appris des pros

Ansel Adams m'a appris à exposer et développer adéquatement une émulsion en fonction des résultats escomptés. Ça m'a pris quelque temps à vraiment le mettre en pratique.

Raymond Depardon m'a appris à être attentif et anticiper l'action qui va se développer sous mes yeux. Commencer à filmer avant que l'action se déroule de sorte à pouvoir la contextualiser et être témoin de son émergence.

Henri Cartier-Bresson m'a appris à inclure dans une image plus d'une histoire.

Donna Ferrato m'a appris à me faire oublier dans un environnement chaotique.

jeune militante lors d'une manifestation. photo Martin Benoit 2005
Robert Cappa ne m'a pas appris à me rapprocher de mes sujets si mes photos ne sont pas assez bonnes. Comment aurais-je pu faire cette authentique photo de cette fière militante en étant plus proche? C'est la distance qui lui confère son authenticité. D'ailleurs, la photo que lui-même considérait sa meilleure photo n'a pas été prise de proche. cf la tondue de Chartes.

Michel Dubreuil m'a appris à être non menaçant envers les gens.

Peter Menzel m'a appris que l'objectivité n'était pas toujours porteuse de vérité.

Joan Vermeer, le peintre flamand, m'a appris que dans la simplicité et les moments statiques de l'existence réside une sérénité.

Edward Curtis m'a appris que la photographie c'est compliquée et que souvent le contenu devient le message.

James Natchwey m'a appris à marcher lentement, ce que je n'ai pas encore bien intégré.

Antoine Desilets m'a appris, à 15 ans, que la photo c'était moins compliqué que ce que les bouquins français des étidions Paul Montel prétendaient.

Gaspard-Félix Tournachon, dit Nadar, m'a appris que les gens se révèlent par eux-mêmes dans de simples poses.

Jeanloup Sieff m'a appris que le contraste et les grands-angulaires pouvaient être très dynamiques.


Edward Weston et Sally Mann m'ont fait apprécier la gradation de beaux tirages noir et blanc.

Enfin, Nathalie Daoust m'a appris à ne pas trop regarder les photos des autres afin de ne pas perdre ma propre identité.






Ce soir, exposition des finissants du Centre de formation professionnelle de Lachine en photographie

source CFP