lundi 11 décembre 2017

Le E6 (développement des diapositives) se meurt

Séchoir de notre dernière développeuse E6. photo Martin Benoit Nikon D1
J'allais déposer 25 rouleaux de Fujichrome™ que mes étudiants avaient exposés, dans le dernier labo à Montréal qui développe encore du E6.

Je découvre à ma grande surprise qu'au Canada, il ne reste que Vancouver et Montréal qui ont encore les équipements professionnels pour ce procédé. Toronto expédie à Montréal ses développements...

Ensuite, il faut aller à New York ou Buffalo.

Kodak réintroduira son Ektachrome™ en 2018. Qui développera ces films?

Voici l'annonce officielle de Kodak.

Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le développement couleur, le procédé de développement utilisé aujourd'hui pour la diapositive se nomme E6. Ce procédé est le plus complexe et le plus délicat qui est toujours disponible. D'autres procédés, encore plus complexes, ont existé, mais ils se sont éteints il y a de ça plusieurs années.

En plus de nécessiter un bon investissement financier, maintenir une qualité de traitement avec un faible volume, tiens du miracle. À quoi bon utiliser un film merveilleux si son développement est erratique ou déficient?

Nous venons de recevoir une belle développeuse Jobo ATL-3 d'un organisme qui avait cessé de l'utiliser il y a de ça quelques années. Deux machines dans les faits. Une pour les pièces et une tonne de cuves et spirales. Cette philosophie de développement (ATL 3) permet de faire des développements complexes avec un investissement minimum et un maximum de qualité.

Qui fabrique et fournit encore ces développeuses et leurs pièces de remplacement?

Les grands manufacturiers de développeuses, Kreonite, Durst, Colex, Colenta, Technolab, Refrema, Hope, Autopan, Fujimoto, Kodak, Jobo et quelques autres, sont tous disparus et ne fournissent plus les pièces de leurs machines.

On me racontait les acrobaties qu'il faut faire afin de maintenir les développeuses opérationnelles... La photographie argentique est complètement à la remorque des manufacturiers. Ce n'est pas vrai que les enthousiastes de l'argentique fabriqueront leurs propres émulsions dans le futur. Et pourquoi les compagnies continueraient à fabriquer de l'émulsion si ce n'est pas rentable? Les Kickstarter de ce monde ont réussi à revitaliser certains produits dans une certaine mesure. De l'émulsion c'est pour les grands. C'est pourquoi peu de fabricants de films couleur ont existé. Ils se comptent sur les doigts d'une main. Le noir et blanc est plus simple, mais reste un marché restreint.

Il reste qu'à souhaiter que les fabricants meurent peu à peu de sorte à renforcer celui qui restera et en ressortira plus fort comme le roi de la montagne et qui pourra rentabiliser son industrie. C'est un peu ce qui est arrivé à Ilford après l'arrêt de Agfa et Kodak dans le marché du papier noir et blanc. Reste qu'Ilford n'a pas une plus grande gamme de produits, mais peut maintenir ses produits phares. Certains Européens obscurs sont réapparus. On pense à Foma et à Rollei. Vont-ils survivre?

Le site de B&H offre quatorze marques d'émulsions. Certaines peu connues et d'autres plus classiques. Ce n'est pas le cas de nos magasins canadiens qui, dans le cas du plus gros, en offre que six. B&H est une exception mondiale, c'est probablement le plus gros revendeur de la planète et il peut se permettre de maintenir un stock de films plus obscurs.

Au niveau de la photographie professionnelle, l'existence du film argentique a peu ou pas d'impact sur le marché. Au niveau culturel, c'est une porte d'entrée sur un geste et une attitude difficilement imitable en numérique. Le talent photographique ne tient pas à l'expérience argentique, mais sa pratique reste une aventure picturale fascinante qui s'enrichit de l'expérience numérique. Un geste mental qui suppose une prévisualisation du résultat et une plus grande sensibilité aux facteurs qui construisent une image. Je n'ai qu'à mentionner la température de couleur et le contraste de la scène originale. On se préoccupe de moins en moins de ces variables sachant que le format RAW ou la grande gradation de filmer S-Log à 15 crans de latitude, permettra de sauver presque n'importe quoi.

J'ai recommencé à enseigner la prise de vue et la chambre noire argentique depuis le départ à la retraite de mon collègue. C'est la notion la plus difficile à faire assimiler de prendre conscience au moment de la prise de vue du contraste originale de la scène et sa température de couleur. L'expérience de la prise de vue sur film inversible couleur remet les pendules à l'heure assez rapidement.

Pour ceux qui n'ont pas fait d'argentique depuis un moment, je recommande de vous acheter un 36 poses de chrome et d'en faire l'exercice. Essayez de prendre une vingtaine de photos intéressantes sur un 36 poses sans faire des fourchettes. On en sort que grandi.

À vos caméras.