jaquette* du bouquin Les animaux dénaturés |
Je ferai un parallèle avec le fameux roman de Vercors, « Les animaux dénaturés » où Vercors invente une situation où un scientifique réussi à croiser une guenon avec un humain afin de créer une race hybride qu'il nomme « tropis ». Le but du roman est d'explorer la question morale de la définition d'humain. Ces tropis hybrides finissent par être utilisés comme main-d'oeuvre gratuite dans des usines australiennes, n'ayant pas les mêmes droits sociaux que les humains étant des moitiés d'humains ou tout simplement pas des humains.
Le livre décrit les déboires judiciaires qui tentent de déterminer si les tropis peuvent jouir des mêmes droits que les humains. C'est une spéculation théorique qui teste des questions légales philosophiques.
Aujourd'hui, nous nous retrouvons dans une situation similaire avec l'affaire des selfies de macaques, à savoir si un macaque peut posséder des droits d'auteurs ou s'ils reviennent à celui qui possède la caméra et paie pour le voyage, fait les retouches, etc. C'est un heureux événement qui pousse la réflexion sur le droit d'auteur un peu plus loin et ce de façon pratique plutôt que théorique. Quelqu'un de réel veut vraiment se réclamer l'auteur.
Les débats autour de cette question suscitent de l'attention relativement à la notion d'art et la notion d'incitatif. Le droit d'auteur est entre autres là pour inciter la création d'oeuvres originales. On veut enrichir la société de matériel novateur. On fabrique un « privilège » économique afin de favoriser un « entrepreneur-artiste » à avoir les moyens de poursuivre ses créations d'oeuvres. Que serait une société sans art, sans nouveauté? Nous reconnaissons, en tant que société, l'importance de protéger les créateurs et fournissons un cadre pour les encourager. Nous avons, par contre, défini qui sont les créateurs et qui ne le sont pas et qui méritent cette protection. Pour avoir travaillé dans le secteur de la construction plusieurs années, j'ai rencontré des menuisiers, des électriciens, des maçons qui étaient très créatifs et qui réalisaient de beaux ouvrages qui ne sont nullement protégés par le droit d'auteur. Ce sont des gens qui travaillent de leurs mains la matière de façons créatives et souvent novatrices.
Le droit d'auteur offre, à certains groupes prédéterminés, la possibilité de réclamer des « royautés » sur l'utilisation d'une oeuvre, abstraction des labeurs qui ont été impliqués lors de la création de cette dernière. Certains passeront leur vie à peaufiner un style, une démarche sincère et ne verront pas le fruit de leur labeur authentique récompensé par les royautés et d'autres recevront des sommes importantes pour une oeuvre réalisée à peu de frais, car le contexte sera tel que le public sera friand de cette oeuvre. Il ne faut pas avoir lu tout Le capital de Karl Marx ou encore la définition du salaire universel de Michel Chartrand pour réaliser que le droit d'auteur et la proportionnalité des ristournes ne respectent pas la notion de « valeur » du travail. C'est d'ailleurs pour cette raison que les pays communistes ne respectent pas le droit d'auteur et les brevets. Le partage est vu comme un bien public qui favorise la croissance de la communauté. Ne pas partager son bien est contre révolutionnaire et mérite les foudres du régime...
Assez de discours gauchistes et retournons à notre réalité capitaliste, car il faut nommer les choses par leur nom. Quel est l'incitatif profond pour que le photographe propriétaire de la caméra, qui a servi à faire les selfies de macaques, réclame son droit d'auteur? Imaginons que lors de son voyage en Indonésie il ait fait de belles photos de natures diffusées par Getty Image et qu'il ait pu se générer un salaire annuel très respectable. Serait-il aussi enclin à ne pas partager gratuitement cet « accident » photographique? Est-ce que le droit d'auteur est là pour compenser la débâcle du marché photographique causée par la venue du numérique et d'Internet? Pour compenser un dispendieux voyage qui n'a pas porté ses fruits? Je sais, je parle comme le salarié syndiqué que je suis.
Quand ma fille était jeune, je lui prêtais ma grosse caméra pour qu'elle photographie la parenté lors des fêtes de famille. Les gens réagissent toujours positivement devant une jeune enfant voulant les photographier. J'obtenais ainsi de belles photos familiales. C'était MA stratégie, Ma caméra et Ma fille que j'avais formée. À qui revient le droit d'auteur des photos? Est-ce qu'an tant qu'enseignant je devrais limiter la distribution de mes connaissances au cas où les étudiants feraient trop d'argent avec cette information? Dois-je exiger une ristourne sur les profits générés par les connaissances et compétences que je leur enseigne? Ce n'est pas un questionnement que j'invente, c'est un professeur du HEC (Hautes Études Commerciales) qui posait cette question à ses étudiants.
Le droit d'auteur est un pis allé dans une société où nous n'avons pas encore trouvé comment rémunérer les artistes convenablement. Dans les pays communistes, les artistes étaient engagés par l'état et réalisaient de l'art de propagande dit-on aujourd'hui. Les grands artistes des siècles passés ont aussi fait de l'art de propagande. Michel-Ange à peint la Chapelle Sixtine pour faire l'éloge du catholicisme qui contrôlait la société d'époque. Jean-Sébastien Bach a presque principalement tiré ses revenus de la musique sacrée commandée par des églises. Peinture de propagande, musique de propagande? Sont-ce réellement des artistes ou des agents du système? Combien d'artistes ont de la difficulté à vivre de leur art tant qu'ils ne se conforment pas aux demandes des galeries et des systèmes de subventions? Est-ce que l'artiste est vraiment libre au Québec? Plusieurs finissent professeurs dans les universités ou cégeps afin de réussir à vivre. Voici comment au Québec nous respectons l'art. Je ne dis pas que c'est mieux ailleurs, je ne fais que souligner les lacunes d'un système.
Quel est ma position relativement au macaque, je crois que Wikipédia à raison et que le photographe devrait se réjouir de la diffusion de cette image auquel il a contribuée au lieu de s'offusquer. Je sais que ma position ne sera pas populaire au sein de la CAPIC dont je suis membre, organisme qui a lutté pour la loi C-11, mais simultanément, il me semble qu'il faut reconnaître les limites d'une loi.
*Je m'autorise ici de reproduire sans l'autorisation de l'artiste et de la maison d'édition la page couverture du bouquin, conformément à la loi C-11 qui autorise à des fins éducatives la diffusion d'oeuvres protégées (je suis un enseignant et ce blogue est un outil complémentaire au cours Pratique Professionnelle, devenu Mise sur pied d'une entreprise). Voilà, entre autres, ce que la nouvelle loi C-11 permet.
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