lundi 30 septembre 2013

Reportage d'auteur "expressif"

Je crois que c'est le World Press le plus « expressif » qu'est celui de cette année. C'est celui où, il me semble, qu'un très grand nombre d'images font usage de logiciels d'altérations d'images. Je me serais attendu, qu'avec toutes les polémiques des dernières années sur l'usage un peu trop « pesant » de Photoshop™, que le World Press prenne position et qu'il devienne hyper vigilant et « intolérant » envers ces pratiques.

Au contraire, on retrouve une très grande quantité d'images désaturées, contrastées, vignetées, teintées, etc. Il va falloir que je m'y fasse, la tendance est là pour rester. Les lecteurs semblent apprécier et les membres du jury définitivement. Nous sommes à la rencontre des genres : une démarche artistique de recherches stylistiques et du photojournalisme dur qui tente de respecter les codes de déontologie. Qui définit ces genres? Sont-ils circonscrits? Sont-ils le reflet d'une époque ou de modes? Comme nous a fait comprendre mon prof d'histoire de l'art en 1982, l'art est ce que la société définit comme étant de l'art. Définition qui peut sembler simple, mais qui démontre que tout est mouvances et fluctuations.

Ma crainte tient au fait que le cynisme social des lecteurs d'images est en hausse. Sa compréhension visuelle est aussi en hausse. Le citoyen moyen comprend de plus en plus le geste photographique et le traitement que l'on peut faire subir à un fichier. Comment maintenir un lien de confiance entre le lecteur et le photographe dans le monde du reportage/photojournalisme?

Dans un ouvrage intitulé « Phototruth or Photofiction? Ethics and Media Imagery in the Digital Age » par Tom Wheeler, l'auteur fait référence au Viewfinder Test. C'est à dire, il faut que le lecteur croie que ce qui lui est présenté est ce qu'il aurait photographié si lui-même avait été derrière le viseur. Sa compréhension du viseur évoluant avec les années, son degré d'acceptation évoluera de même. Briser ce lien tacite entre le lecteur et le photographe et vous voilà devant un cynisme grandissant. Toute la profession s'en trouve affectée et se retrouve en crise de crédibilité. Ultimement, on aura affaire qu'à des démarches pamphlétaires. Le photographe a droit à son opinion, mais ce qui est attendu de lui, dans la majorité des cas, est de nous informer, car nous ne pouvons être partout à la fois et tout voir. S’il gauchit trop son message selon son émotion, il retire progressivement au lecteur sa capacité de lecture et sa libre pensée. Soit que la photographie est un médium qui n'est pas suffisamment éloquent et nécessite qu'on « jazz » les fichiers afin d'inciter à la « bonne » lecture, soit que nous n'avons pas réussi à enregistrer les images qui seraient porteuses du « bon » message sans avoir besoin d'interventions supplémentaires.

Nous devons reconnaître les limites du médium et voir la photographie documentaire et le photojournalisme comme un outil parmi d'autres pour parfaire notre compréhension du monde avec ses forces et faiblesse ou bien accepter que la photographie n'est qu'un autre outil de propagande d'un point de vue personnel. Ma tristesse est plus grande quand je constate le bon travail que certains éditeurs photo de grands médias font afin d'éviter le misérabilisme, le sensationnalisme, la trop grande « tendancieusitée » de certaines images. Des fois j'ai l'impression que leur travail est en vain devant ce tsunami de directivité.
Bibliothèque de Sarajevo, ©André Bourbonnais 1996

En 1996, je travaillais à imprimer, en collaboration avec l'auteur, une image en provenance de Sarajevo prise par André Bourbonnais. Cette image représentait la destruction par des bombardements d'une grande bibliothèque de la capitale.

Une prise de vue à la chambre 4x5 avec un polarisant par temps ensoleillé. Le tirage a été réalisé sur papier chiffon Reeves à l'aide d'une imprimante IRIS 3047 en 1996 à une époque où les gens n'avaient jamais vu (ou presque) de photos couleurs sur papier aquarelle. Lors du vernissage, la critique a été plutôt dans la direction que ça faisait faux et que c'était trop saturé. Aujourd'hui avec l'habitude que l'on a des papiers mats combinés à la palette de couleur des imprimantes jets d'encre, ce genre de saturation est banal et dans les faits, nous avons développé une nouvelle lecture de la saturation non basée sur les limites des procédés argentiques qui nous donnaient de la saturation au compte-goutte.

À quel moment une image de reportage devient-elle tendancieuse et mensongère? Quel niveau d'altérations ou d'interprétations doit-être toléré? Il devient évident que c'est une limite en mouvance qui est déterminée par la « maturité » du lecteur à décoder les images actuelles. Plus le lecteur est conscient de la plasticité du médium, plus il est en mesure de décoder le média. La génération actuelle est très mature, merci aux applications comme Instagram, qui constamment propose des versions altérées en comparaison avec la version non altérée. L'expertise visuelle se développe à l'insu de l'utilisateur. Il n'a peut-être pas le bon vocabulaire Photoshop pour comprendre ce qu'est le filtre « Early Bird », mais il connait sa signature. La dernière mouture de iOS7 pour iPhone incorpore dans l'application native de la caméra du téléphone des options d'altérations de l'image à présent. Comment décoder ce besoin constant de dénaturer les images? Mode, couleur d'une époque, sommes-nous des victimes des manufacturiers qui nous imposent des stylistiques?

Aucun commentaire: