À travers l'histoire de la photographie, plusieurs moments ont été charnière dans la mesure où ils ont transformé le geste photographique et sa résultante.
-Pour n'en nommer que quelques-uns prenons l'invention du fixage qui a rendu l'image photographique permanente.
-L'utilisation des sels d'argents et leurs diverses combinaisons qui ont permis des ISO plus élevés et la possibilité de saisir la vie en mouvement.
-La création du négatif qui a permis la multiplication des positifs identiques.
-L'invention du support souple pour produire un rouleau de pellicule qui a permis à l'amateur de charger un appareil et de prendre plusieurs photos sur un même chargement. En passant c'est l'invention de George Eastman (Kodak) et c'est ce qui a démocratisé la photographie à un large public.
-La miniaturisation des appareils de sorte a faire de la prise de vue plus rapidement et moins de façon ostentatoire, qui a permis la photo de rue. Je pense ici au 35mm de Leica et la suite de l'histoire.
-L'invention de la pellicule couleur qui a permis à l'amateur de faire ses propres photos couleur.
-L'invention des posemètres portatifs et des flashmètres qui a amélioré la justesse de l'exposition
-L'invention de la pellicule instantanée qui a permis de voir et partager le résultat une minute après la prise de vue.
-La possibilité de faire des prises de vues à cadence élevée 5 ips et plus qui a permis d'enfin voir le moment décisif en sport.
-La création d'objectifs zoom qui a permis de trimbaler moins d'objectifs et d'obtenir la composition recherchée d'un point de vue spécifique sans compromettre la composition en se déplaçant, car on n'a pas la focale exacte pour le cadrage et l'organisation spatiale recherchée.
-La création d'objectifs super lumineux qui a permis de faire des photos dans des contextes où l'absence de lumière l'interdisait.
-L'invention du flash électronique.
-L'apparition du flash électronique portatif qui a permis de faire des photos de qualité technique dans des conditions défavorables.
-L'implantation d'automatisme d'exposition qui a permis d'obtenir des photos bien exposées rapidement.
-L'apparition d'appareils réflex qui nous permet de voir précisément le cadrage ainsi que la profondeur de champ de la prise de vue. Cette technologie a rendu possible l'usage d'objectifs de courte et longue focale sur un même appareil.
-La création de la cartouche 126 qui a contribué à encore démocratiser la pratique de la photographie avec un chargement plus simple dans des appareils très faciles d'utilisation.
-L'apparition de la photographie numérique, qui a permis de voir et partager les résultats quasi instantanément à peu de frais et d'en faire des reproductions à l'infini.
-Les progrès d'Internet et des réseaux sociaux qui ont modifié la façon dont nous partageons et consommons les photos.
-L'apparition de drones photographiques abordables qui nous a permis de voir le monde différemment.
-L'impression numérique domestique qui a démocratisé l'impression d'images.
-L'insertion d'un appareil photo de "qualité" dans les téléphones qui a permis au reste de la population de faire ses propres captations photo et vidéos "sans frais" et avec très peu d'expertise technique.
En gros ce sont les grands bouleversements des 170 dernières années de la photographie.
À la fin de l'époque argentique, on disait souvent que le seul grand avancement technologique des 50 dernières années était l'apparition du film T-Max (les films à grains tabulaires en général) qui avait été la dernière révolution. Quelle révolution? Aujourd'hui, ceux qui retournent à l'argentique le font souvent sur le prédécesseur au T-Max, le Tri-X... Et vlan pour la grande révolution.
Il y a eu plein de petites révolutions qui ont mené à la photographie telle qu'on la connait aujourd'hui.
Pour n'en nommer que quelques-unes,
-L'introduction du mode vidéo dans les appareils photos.
-L'introduction d'un module wi-fi dans un appareil
-L'augmentation des ISO
-La stabilisation des capteurs et des objectifs.
-L'augmentation de la résolution des capteurs.
-La baisse de prix des appareils numériques.
Est-ce que la nouvelle brassée des appareils mirrorless fait partie de ces microrévolutions et changera-t-elle quelque chose dans notre mode de vie de photographes et dans les résultats que nous obtiendrons?
Panasonic est le dernier à avoir fait son annonce de full frame mirrorless avec la Lumix S1 et S1R. Comment discerner entre une hype temporaire et une vraie microrévolution?
Selon moi, les jours du miroir étaient comptés depuis plusieurs années. Le point faible de cette révolution était la qualité des viseurs et de la communication entre le capteur et l'affichage numérique qui limitait cette transition. Quand on y pense bien, le miroir et ses acolytes (l'obturateur, le miroir secondaire, le verre de visée, le pentaprisme, etc.) sont un cauchemar de fabricant, même s'il gère cette situation depuis plus de 50 ans. Nous sommes dans le domaine de l'horlogerie mécanique et tout ce que ça implique. Combien d'appareils professionnels sont devenus désuets car l'obturateur faisait défaut et que les coûts de remplacement ne justifiaient pas cette ultime chirurgie. On parle d'usage pro où 150k clics n'est pas rare. De plus, le temps de faire ces 150k clics, votre appareil n'était plus à la mode. Pourquoi les appareils pros sont-ils si dispendieux, en cette ère où tout ce qui est informatique baisse de prix? Peut-être que ce n'est pas uniquement une question informatique.
Le mirrorless simplifie énormément ce qu'est un appareil photo en le déshabillant de quasi tout ce qui reste de mécanique dans un appareil. Il ne reste que l'obturateur dans certains cas et le mécanisme de mise au point et de fermeture du diaphragme. On ajoute des interrupteurs pour plaire à l'interaction physique avec l'appareil, mais on peut très bien s'en passer quand on pense à l'absence d'interrupteurs traditionnels dans les appareils touch screen.
La révolution théorique de ces appareils serait :
-baisse significative du prix des appareils
-diminution de la taille physique des appareils
-appareils plus légers
-diminution, voir disparition du bruit de la prise de vue.
-compréhension du résultat dans le viseur, profondeur de champs vraiment affichée ainsi que l'écrêtage, etc. Donc meilleure exposition directement dans le viseur.
-possibilité d'objectifs plus lumineux moins cher car plus simples de construction (qui vivra, verra...)
-grande possibilité de passer d'une marque d'objectifs à une autre avec des conversions minimales. Donc, démocratisation de l'usage des objectifs comme un peu à l'époque de la norme de monture 42mm (Pentax, Practika, Exacta, Yashica, Zenit, Argus, Fuji, Vivitar.... ). J'ai bien connu cette époque et j'ai toujours lutté contre la monture propriétaire même si elle a de merveilleux avantages.
Les autres caractéristiques que l'on retrouve dans ces appareils ne sont pas spécifiques au fait qu'ils n'ont pas de miroir, par exemple, la stabilisation des capteurs et autres innovations.
Ce ne sont pas les appareils qui font les photos, mais plutôt les photographes. Allons-nous voir une nouvelle génération d'images issues de ces appareils qu'il nous aurait été impossible auparavant de voir? J'en doute personnellement, sauf en ce qui a trait aux avantages de la prise de vue totalement silencieuse.
Je discutais avec un photographe de La Presse Canadienne, qui utilisait le mode totalement silencieux de son appareil lors du débat des chefs et qui, lui aussi, était fasciné par les possibilités de ce mode. C'est pour moi un des grands avantages de cette technologie. Une technologie d'hypocrites?
Sony passe la remarque suivante dans son manuel d'instruction concernant ce mode:
Il est de votre responsabilité d’utiliser la fonction [ Pr. de vue silenc.] en tenant suffisamment compte du respect de la vie privée et du droit à l’image du sujet.
Les téléphones sont totalement silencieux depuis quelques années. Où est la différence? La différence c'est que l'on fait de la photo à 46 mp full frame en silencieux. Parlez-en aux photographes de plateau qui ont trimbalé des blimps à 2000$ depuis des années pour faire leurs photos. Le son des appareils est le témoin final que le geste photographique a eu lieu pour le sujet. C'est la confirmation et cette confirmation disparait. Combien de photos ont été prises? Quand ont-elles été prises? Quand on filme quelqu'un en complicité, le sujet sait que toutes les secondes sont enregistrées et seront peut-être utilisées. Quand on photographie silencieusement, le sujet et confus et surpris et nous sommes surpris de s'autoriser plus de prises de vues, car ultimement nous "dérangeons" un peu avec notre bruit qui nous limite un peu dans notre geste de "saisir" la bonne expression. Le silence libère le photographe.
Sony est conscient de la polémique entourant ce silence et en avertit les utilisateurs. Le studio avec ses puissants flashs électroniques cré cette limite. Quiconque a fait du portrait à la génératrice est conscient des limites de cette approche. En plus d'indiquer très clairement le moment de la prise de vue, vous devez attendre avant le prochain clic la recharge. Dans le cas des appareils moyen format, le temps de transfert constitue aussi un obstacle. La prise de vue lumière du jour combiné à un appareil silencieux, libère le photographe de ces contraintes.
Dans quelle mesure est-il important d'indiquer au sujet que c'est à ce moment précis que nous prenons la photo?
Un grand portraitiste, dont j'oublie le nom, avait installé deux obturateurs sur sa chambre grand format et déclenchait le faux obturateur en premier et le vrai en second, car il avait remarqué que les sujets étaient un peu plus détendus après ce qu'ils avaient perçu comme étant le moment de la prise de vue. En étant totalement silencieux, maintenons-nous la "tension" photographique chez le sujet? il faudra demander aux sujets ce qu'ils en pensent.
Le mirrorless n'est pas significatif pour tout le monde, comme le full frame ou le moyen format. Il faut se questionner sur ce que l'on fait et quels sont nos besoins réels dans notre pratique. C'est une vieille histoire et espérons que les manufacturiers ne jetteront pas le bébé avec l'eau du bain et que nous conserverons des appareils qui auront une certaine pérénnité, ce qui me semble le problème le plus important ces dernières années. L'obsolescence des appareils est inacceptable selon moi et si on veut parler de révolution, l'appareil le plus révolutionnaire des dernières années a probablement été le Canon 5D mkII, qui a encore sa place dans le marché professionnel et qui fonctionne toujours et qui fut abordable dès le jour 1. Je ne crois pas qu'il y ait eu des appareils numériques qui ont si bien traversé le temps. Quelle était la révolution de la 5D mkII? Des petites choses, un prix un peu plus bas, une fonction vidéo que d'autres avaient introduite auparavant, un full frame déjà existant, rien de très spectaculaire, mais c'est cet appareil qui a permis à beaucoup de photographes professionnels de se maintenir compétitifs dans cette profession où l'investissement technologique est toujours en conflit avec les profits qui sont nécessaires à la survie.
Nous avons été très chanceux lors de notre révision de programme d'investir dans un grand parc de 5D mkII à une époque où les appareils vivaient le temps des roses. Personne n'avait une boule de cristal pour prévoir le futur. Nous prêtons toujours ces appareils aux étudiants avec un sentiment que les résultats sont toujours instructifs.
Voyons tout ça comme la mouvance technologique chaotique de la photographie et attendons avant d'en juger ou prédire l'impact final.